Sabrina Dubbeld
Résumé : Il s’agit, dans cet article, d’étudier la conception du temps d’Etienne-Martin en relation avec son œuvre écrit et sculpté. Cette analyse montre comment le cycle des Demeures et l’Abécédaire construisent un espace-temps aux propriétés singulières qui fait écho aux théories scientifiques se diffusant dans l’avant-garde artistique du XXe siècle.
Mots-clefs : sculpture, architecture, enfance, espace-temps, relativité, art et science, n-dimensions, mythologie individuelle.
Présentation de l’auteur : Sabrina Dubbeld est docteur en histoire de l’art contemporain et chercheuse associée au laboratoire d’Histoire des arts et des représentations de l’université Paris-Nanterre. Ses recherches scientifiques s’articulent autour de quatre axes principaux : l’étude de la sculpture et de l’architecture des XXe et XXIe siècles ; des écrits, manuscrits et bibliothèques d’artistes ; des relations entre art et littérature ainsi que les games studies. Depuis 2009, elle a enseigné à l’Université Paris-Nanterre, Paris IV, Lyon 2-Lumière et à l’école d’art de Digne-les-Bains. Parallèlement à ces travaux, elle mène une activité de critique d’art et de commissaire d’exposition.
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« Etienne-Martin : “nos concepts d’espace et de temps ne sont que des
parapluies” »[1]
« Ce que je fais maintenant, c’est maintenant que je le fais, l’instant après je ne le ferai plus. Il n’existe pas de temps. Il n’y a que le non-temps, l’éternité[2]»
« Mais évidemment entre l’instant et l’instant de la dérive des continents, il y a une grande distance… une grande distance pour nous, mais y a-t-il même une grande distance ? [3]»
« Nous vivons dans un temps qui, quotidiennement, semble être quelque chose qui coule, alors qu’en vérité, le temps est infiniment mystérieux[4]»
Ces citations mettent en lumière la façon profondément originale dont le sculpteur appréhende le temps. Ainsi, contrairement à notre conception occidentale moderne, qui perçoit le temps comme un fluide dont l’écoulement implique nécessairement l’existence d’un passé, d’un présent et d’un futur, Etienne-Martin, lui considère que le temps est un principe immuable dont la géométrie et la métrique lui échappent pour une large part.
Pourtant, à partir de 1955, il débute les Demeures, cycle de vingt sculptures-architectures inspirées de sa maison natale, un ensemble qui s’accompagne de la création de 20 000 feuillets manuscrits. Par ce travail, il fixe dans le présent le résultat de sa recherche proustienne d’un temps passé perdu : son enfance.
Il s’agira donc de comprendre comment Etienne-Martin parvient à conjuguer négation de l’idée même du temps avec une démarche créatrice fondée sur une « nostalgie active [5]» ?
Temps présent, temps continu
La question du temps passionne Étienne-Martin. Rares sont les entretiens où il n’évoque pas le sujet et il a également consacré de nombreux écrits à ce thème. Il y assène qu’il est bien difficile, en tant qu’être humain, d’appréhender cette entité abstraite de la manière la plus juste possible ; ce qui explique que nous ayons une perception bien souvent incomplète, voire faussée de sa réalité :
« Nous vivons dans un temps qui, quotidiennement, semble être quelque chose qui coule, alors qu’en vérité, le temps est infiniment mystérieux. [6]»
« Il y a des évidences qui dépassent la logique, qui dépassent certainement le temps, le temps, on peut l’appréhender par le temps quotidien, mais c’est un tout qui se prolonge aussi bien dans le passé, que vraisemblablement dans le futur, et le plus difficile, c’est de le percevoir dans le temps qui passe[7]»
« Pour moi il ne me fait aucun doute que le temps n’existe pas, que cette idée est sans doute la plus prestigieuse illusion de notre état d’homme[8]»
En 1967, le sculpteur crée l’Abécédaire, système conceptuel qui réunit, dans un même espace des temps distincts (dates des œuvres, époques de sa vie) ainsi que des lieux (Dieulefit, Valence, etc.) différents du lieu et du temps d’origine (l’édifice loriolais). Les strates de ses souvenirs se superposent dans cette demeure rêvée à laquelle il s’est complètement identifié. « je suis archéologique [9]» rapporte-t-il à Luce Hoctin. . L’Abécédaire constitue un hymne à un temps continu : « Cette demeure [Demeure] qui est ma maison où je suis né natale, j’en ai fait une sorte de portrait où chaque espace est une réelle chambre dont l’exploration, la situation et le voisinage fut et reste pour moi une sorte de monde et dont les temps y englobent tous les temps englobant tous les temps [10]». La mémoire permet de réactiver dans le présent un événement révolu et, partant, de naviguer dans le temps. Ce procédé lui redonne vie et le fait participer à l’instant. Il n’y a plus qu’un seul temps présent qu’Étienne-Martin estime omniprésent :
« Il est évident qu’il y a une quantité incroyable de temps. Toutefois, nous les vivons tous dans une présence qui en est la trame ; et, à l’instant même, nous vivons un moment historique, un moment psychologique, et tous ces temps sont mêlés et nous les vivons au présent [11]»
« Ces chambres [les pièces de la maison représentées par les lettres de l’alphabet topologiques] sont les fenêtres ouvertes sur ces moments qui sont leur passage dans le passé […], s’ils [ces moments] sont vivants, « chauds » en moi, ils sont « présents », et moi je suis présent à eux et à moi. Il n’y a pas de passé [12]»
Et ce temps présent continu comprend non seulement les événements de son passé, mais également ceux qui se dérouleront dans le futur puisqu’ils sont eux-aussi analysés à l’aune du temps présent :
« Il reste que cette succession de naissances nous propulse vers le présent… Mais il nous faut encore considérer que nous naissons à chaque instant jusqu’au jour où nous quitterons ce monde pour retourner dans le sein de la terre. A cette heure nous irons vers la fin des temps – vers l’inconnu qui est toujours le temps [13]».
« Remonter le fil du temps est une chose non seulement essentielle, mais qui participe du présent… […] Et il y a là une présence perpétuelle, en sorte qu’il n’y a pas un passé et un futur, mais un temps actuel : un présent. C’est ça que je comprends[14]».
Cette thématique s’incarne dans ses sculptures avec la réalisation du Fil du temps (1978), du Mur Miroir (1975), de la Demeure miroir (1977) ainsi qu’avec la représentation, à trois reprises, de la figure de Janus : Janus ou Vie et Mort (1963), Torse-Janus (1969) et Janus II (1970). Originaire de Thessalie et exilé à Rome, ce dieu, l’un des plus anciens membres du panthéon romain avait reçu, de la part de Jupiter, la faculté de connaître à la fois le passé et l’avenir[15]. Souvent représenté pourvu de deux visages opposés, comme dans Janus ou Vie et Mort (1963), il évoque l’ambivalence temporelle. Dans le cas du Torse Janus (1969) et de Janus II (1970), la bipolarité est signifiée par la symétrie axiale qui divise chacune des œuvres en deux parties bien égales.
Cette conception du temps fait écho à celle de saint Augustin pour qui il existe trois temps essentiels qui se conjuguent au présent : « le présent des choses passées, le présent des choses présentes, et le présent des choses futures[16]» correspondant respectivement à « un souvenir présent des choses passées, une attention présente et une attente présente des choses futures [17]». Il explique son raisonnement dans La création du monde et le temps.
« Je désire savoir où sont les choses futures et les passées, si l’on peut dire qu’elles sont. Que si cette connaissance est au-dessus de moi, au moins je suis assuré qu’en quelque lieu qu’elles soient, elles n’y sont ni futures ni passées, mais présentes, puisque si elles y sont futures, elles n’y sont pas encore, et que si elles sont passées, elles n’y sont plus. En quelque lieu donc qu’elles soient, et quelles qu’elles puissent être, elles n’y sont que présentes. Ainsi lorsqu’on nous raconte des choses passées, si on les rapporte selon la vérité, on les tire de la mémoire, non pas les choses mêmes qui sont passées, mais les paroles qu’on a conçues des images de ces mêmes choses, qui en passant par nos sens ont imprimé dans notre esprit comme leurs traces et leurs vestiges. Car mon enfance, laquelle n’est plus, est dans le temps passé, qui n’est plus aussi. Mais lorsque je m’en souviens, et que j’en raconte quelque chose, c’est sans doute dans le temps présent que je considère son image, parce qu’elle est encore dans ma mémoire. [… De même] les choses futures ne sont point encore ; et si elles ne sont point encore, elles ne peuvent en aucune sorte être vues ; mais elles peuvent être prédites par les choses présentes qui sont déjà, et qui sont vues [18]»
On peut aussi établi un parallèle avec Henri Bergson. En 1888, il publie son Essai sur Les Données immédiates de la conscience[19] dans lequel il critique la vision d’un temps spatialisé représenté par une droite[20] et souligne combien le temps est perçu en termes de durée : « Nous touchons ici du doigt l’erreur de ceux qui considèrent la pure durée comme chose analogue à l’espace, mais de nature plus simple. Ils se plaisent à juxtaposer les états psychologiques, à en former une chaîne ou une ligne ». Ainsi, le présent se composerait d’une « épaisseur de durée qui se compose de deux parties : le passé immédiat et l’avenir [21]». Il suppose également la conservation du passé et l’anticipation du futur[22], ce qui revient à l’idée d’un seul temps continu : « L’avenir n’existera alors dans le présent que sous forme d’idée, et le passage du présent à l’avenir prendra l’aspect d’un effort, qui n’aboutit pas toujours à la réalisation de l’idée conçue [23]». Pour aboutir à ce résultat, il fait intervenir « l’idée d’espace proprement dite, l’idée d’espace dans sa totalité, parce que l’espace est un milieu à trois dimensions [24]».
La Demeure : construction d’un espace-temps
Architecture d’un espace-temps
Pour Étienne-Martin, le temps est aussi indissociable de l’espace, et vice-versa comme l’illustre un de ses dessins où il a représenté les symboles des trois portes de sa demeure d’enfance (la porte de la roue, du cœur et de l’œil) et noté entre chacune d’entre elle l’inscription « espace-temps ». Il dit également qu’il « voit le temps comme un bloc [25]».
Ainsi, ses Demeures rendent non seulement compte de la distance temporelle avec le souvenir (la maison) auquel elles se rattachent, mais elles concrétisent également, dans la matière ce voyage dans le temps, qui devient véritablement espace : « mes formes [sculptures] ne sont que des caches marques de moments plus intenses à moi [26]», « rechercher la forme que prend par exemple le déroulement d’un moment, d’un certain temps, d’une période», « la demeure est une histoire d’amour. La demeure est un labyrinthe, un voyage. Chaque Demeure est une illustration de ce voyage. Cela est l’Espace et le temps[27]». Ces propos illustrent parfaitement ce qu’affirme Bachelard dans La poétique de l’espace : « Dans ses mille alvéoles, l’espace tient du temps comprimé. L’espace sert à ça[28]». En fait, le sculpteur commence véritablement à s’intéresser à la question de l’espace-temps lors de la création de la Demeure 3 (1960), lorsqu’il décide que les alvéoles des Demeures ne se rattacheront plus seulement à un espace de la maison mais aussi à un temps de sa vie. Cette idée se concrétisera dans l’Abécédaire par la juxtaposition de différents temps et espaces. Il dit, à propos de cette « Demeure noix » :
« Cette figure est la troisième d’une exploration d’une demeure qui est à la fois le lieu en tant qu’espace et le lieu en tant que matière, dualité apparente qui n’en est pas une mais un aspect d’une seule et même réalité ou simplement d’une chose en des manifestations diverses de temps et des espaces différents[29]»
« Chaque espace est une chambre réelle – lieu seul dont l’exploration, la situation et le voisinage est pour moi découverte d’un temps et d’un espace qui ne sont plus contradictoires »
S’il poursuit sa recherche tout au long de la réalisation du cycle des Demeures, elle s’amplifie avec la création de la Demeure 12 ou Tour des ombres ou Passage (1969), du Petit fil du temps (1977) et du Fil du temps est dans le mur (1978), également intitulé le Boulier du temps ou Le fil du temps et du Mur Verseau (1982-1983). Le choix même des titres est éloquent : il est à chaque fois question d’un temps qui se matérialise dans une structure à trois dimensions : « la tour », « le mur », « le boulier ». Dans le cas de la Demeure 12 (1969), il s’intéresse plus particulièrement à la dynamique du passage :
« J’ai toujours été intéressé par le passage qu’il y a entre une chambre et une autre […]. C’est le passage de l’instant à l’instant, l’image du verseau qui part d’un récipient, qui va dans un autre. Le liquide traverse une zone d’air que moi j’appelle mur. Ça part d’une chose très réaliste et puis ça va dans un temps infiniment fin et infiniment grand [30]».
« De la totalité, c’est ce qui me tracassait dans les passages.
Le Mur-Verseau est fait sur cette idée-là, le passage d’un quelque chose vers quelque chose d’autre, dans le fond, d’un instant à l’autre »
C’est que dans sa maison d’enfance, lorsqu’il était jeune, le fait d’aller d’une pièce à une autre, nécessitait de traverser la demeure, de « suivre un parcours [31]» qui s’avérait d’autant plus labyrinthique que les deux espaces concernés étaient séparés par le mur de la maison. Le cas échéant, le cheminement « se présent[ait] à lui comme une sorte de barrière plus ou moins infranchissable [32]» impliquant « le passage d’un temps à un autre temps, un changement non seulement de lieu mais d’époque [33]». C’est ce qu’il a cherché à matérialiser dans la Demeure 12 (1969) et dans la Demeure 18 (1983), mais aussi, plus généralement dans toutes celles qui reprennent le mur de la maison : « Il se produisit en mon esprit tout un déroulement de lieux et de temps qui se matérialisa dans cette présence d’une frontière, le mur[34]». Il dit d’ailleurs, à propos du Fil du temps est dans le mur (Demeure 14, 1978) :
« Dans la quotidienneté aussi, on est suspendu dans un espace et un temps inconnus, qui sont immédiats. C’est Le Fil du Temps. Le Fil du Temps, je le vois filer dans cette sorte de mur qui nous sépare[35]».
Cette idée apparaît aussi clairement dans l’Abécédaire où d’une lettre à la suivante, d’une chambre à une autre, on passe d’un temps à un autre temps, ce qui revient à réaliser un saut temporel. À ce titre, Étienne-Martin qualifie chacune des pièces de « logettes », de « sorte de coquillages », « d’espace-temps contenant des signes d’êtres et actes fugitifs [36]».
Le spectateur : régisseur de l’espace de la maison
Cette mise en espace du temps se poursuit également dans une grande partie de son œuvre graphique et dans ses différents registres et livres sculptés. Là, afin de faire figurer les différentes parties de la maison et recréer un espace en trois dimensions, l’artiste redouble d’inventivité : il plie et replie le papier, le coud, n’hésite pas à effectuer des marques, des entailles, des encoches, des trous, des collages, ajouter des ficelles, des nœuds, des photographies, créer des fenêtres de papier qui s’ouvrent au détour d’une page. Même les réseaux de lignes enchevêtrées semblent s’animer, de même que les mots, écrits tour à tour au feutre, au crayon de papier, au stylo et dont les ratures, les biffures viennent encore souligner l’épaisseur. Le type de reliure choisie, souvent rigide, évoque le mur de la maison, tandis que la disposition de l’ensemble reprend souvent l’organisation tripartite de la bâtisse loriolaise … Le lecteur explore les moindres coins du livre comme il arpenterait une maison inconnue. À mesure qu’il tourne les pages, il parcourt les différents espaces de l’édifice et voyage dans le temps ; l’itinéraire suivi compose une authentique sculpture.
Seuls cinq de ses livrets ont été publiés du vivant de l’artiste : deux d’entre eux, parus respectivement en 1960 et 1962, forment les catalogues de ses deux expositions personnelles à la galerie Breteau ; l’Abécédaire et autres lieux, lui, a été édité en 1967, tandis que le Mur Miroir a été publié en avril 1982 en deux cents exemplaires par la maison d’édition Aréa. Les deux premiers ne comportent aucun texte et réunissent chacun deux ouvrages en un. Leur séparation est matérialisée par deux feuilles noires au centre. Le lecteur peut débuter à la première ou à la dernière page. Le livre-jeu de 1960 est consacré plus spécifiquement aux Demeures 1, 2, 3 (1954-1958, 1958-1959, 1960). Le spectateur les découvre, elles, ainsi que plusieurs des « souricières » par l’intermédiaire de photographies et de feuilles transparentes qu’il est invité à soulever. Dans celui de 1962, c’est le Manteau (1962) qui est mis à l’honneur. À l’intérieur du livre, différents trous laissent apparaître des photographies de différentes tailles des Demeures 1 à 5 (1954 à 1960) pour la première partie, et des reproductions de la maison de Loriol pour la seconde. Le spectateur peut glisser ses doigts dans les ouvertures pour tourner les pages. Il navigue alors dans l’antre du Manteau (1962). Les creux sont autant de références aux cavités des Demeures et aux chambres de la maison natale. Le public est une nouvelle fois convié à un parcours spatio-temporel. Les creux sont autant de références aux cavités de l’Hommage à Lovecraft (1951-1956) et aux chambres de la maison natale. Une nouvelle fois, le public est convié à un parcours spatio-temporel. Cette invitation est aussi clairement signifiée sur la notice accompagnant le jeu L’Abécédaire et autres lieux :
« J’attache une extrême importance à ce contact avec le réel quotidien. Ce réel où hier et demain s’effacent comme dans le rêve pour nous faire entrevoir un présent qui n’est obscur que par notre manque de désir de vouloir le dire. Sorte de jeu de l’Oie où nous jouons tous et où ce qui nous égare est l’abusive notion de temps que nous croyons avoir. […].
En rêve, il m’arrive très souvent de poursuivre une activité très précise qui se situe entre les activités du jour et qui se passe également dans d’autres jours, sorte de nouveaux temps entre ceux que je connais ; au réveil, je n’en trouve ni la trace ni le lieu. Je pense que ces ordres ont une très large place dans la naissance de mes Personnages [37]»
L’artiste incite le spectateur à modifier l’ordre des cartes du jeu qu’il a créé à sa guise afin de déambuler comme il le souhaite dans l’édifice et participer ainsi activement à un nouveau processus de création.
«L’ordre des lettres peut être mis de toutes les manières possibles car chaque chambre contient l’organisation totale de la Demeure[38]»
« Si vous voulez brouiller les cartes et que vous en tirez une au hasard, vous pouvez la mettre n’importe où [39]»
Ce procédé entraîne inévitablement de nouveaux rapprochements de temps et d’espaces dans la maison, annihilant par là-même la notion d’un espace et d’un temps absolu. L’Abécédaire n’a plus ni origine, ni point de départ : « La participation active du spectateur-lecteur rend la Demeure sphérique. Ce jeu est un des dialogues possibles avec le monde[40]». L’action a aussi un impact sur l’existence du joueur puisqu’en manœuvrant les cartes, ce dernier va, à son tour, imaginer le déroulement de sa propre vie, de son passé, et songer aux murs de sa propre maison, ce qui conduit nécessairement à la création de nouveaux espaces-temps. L’artiste explique : « Je pense qu’en creusant dans les choses qu’on a vécus les uns les autres, on touche à des espaces et à des temps qui parfois basculent dans d’autres temps, dans d’autres espaces qui me paraissent importants[41]».
Plusieurs de ses Demeures sculptées abordent cette problématique, parmi lesquelles la Demeure 3 (1960) : « La Demeure 3 vit se déterminer en elle des espaces temps avec un côté connu et l’autre inconnu [42]» ; ou encore la Demeure 5 (1962) : « Cette demeure destin est une totalité elle possède des plis non seulement le passé connu et inconnu mais aussi le futur inconnu à condition que je le porte l’endosse comme pour la Demeure 4 (1961), cette cinquième opération est une porte sur d’autres lieux[43]». Il écrit également, dans une maquette d’ouvrage conçue en 1965, toujours au sujet du Manteau (1962) : « ce trajet est celui de ce manteau-ci, mais le lecteur qui s’imagine cela verra ensuite sa vie et que dans cette aventure, il en est le centre qui porte, mais que ce manteau centre et poches sont aussi lui [44]». Par conséquent, Le Manteau, comme l’Abécédaire et autres lieux confère au spectateur le pouvoir de voyager dans le temps mais aussi, s’il le souhaite, de créer de nouveaux espaces-temps. Ces recherches obstinées devaient aboutir quelques années plus tard, à l’élaboration de la Demeure 7 qu’il imaginait de forme « sphérique [45]» et où il aurait été possible de « déambuler dans un espace courbe [46]»
L’écho artistique des théories à n-dimensions
Pour comprendre les origines et expliquer ce concept d’un espace-temps cher à Étienne-Martin[47], il faut se référer aux recherches scientifiques menées autour des géométries à n-dimensions qui se diffusent au 20e siècle. En 1754, D’Alembert dans l’article « Dimensions » de l’Encyclopédie confère au temps le rôle de quatrième dimension[48]. Il confie que cette idée est reprise « d’un homme d’esprit de (sa) connaissance [49]». En 1902, Henri Poincaré rédige La Science et l’Hypothèse dans lequel il invite les hommes de son époque à réfléchir sur les postulats et les fondements de la physique et des mathématiques modernes[50]. Il revient sur les théories des géométries non-euclidiennes formulées par les scientifiques Nicolas Ivanovitch Lobatchevski et Bernhard Riemann. L’ouvrage contient également les pistes d’une nouvelle théorie sur le temps et l’espace : le postulat de la relativité.
Trois ans plus tard, Albert Einstein met au point la théorie de la relativité restreinte. Le mathématicien Hermann Minkowski, professeur d’Albert Einstein de 1896 à 1900 à l’École Polytechnique fédérale de Zurich joue ici un rôle primordial. Il a travaillé aux côtés de son élève et donne la formulation mathématique de la théorie de la relativité, qu’il présente en 1908. Il confie alors :
« Les conceptions de l’espace et du temps que je désire vous exposer ont été développées sur le terrain de la physique expérimentale, et c’est de là que découle leur force. Elles sont radicales : il s’en suit que l’espace en soi et le temps en soi sont condamnés à disparaître comme des ombres et que seule une sorte d’union de l’un et de l’autre conservera une réalité indépendante[51]».
En 1916, Albert Einstein met au point le principe définitif de la relativité générale. Il supplante les théories de la relativité d’Isaac Newton[52] et décrit l’influence de la présence de matière sur le mouvement des astres en prenant en compte les principes de la relativité restreinte produite par la distribution de la matière. La gravitation n’est plus une force mais la manifestation de la déformation de l’espace-temps. Cette théorie modifie les équations utilisées pour comparer les mesures de longueur et de durée faites dans différents référentiels en mouvement les uns par rapport aux autres. Il est maintenant obligatoire de traiter l’espace et le temps comme un espace à quatre dimensions.
Cette nouvelle conception de l’espace-temps connaît immédiatement un grand succès auprès de l’intelligentsia. Une littérature abondante voit le jour, tant scientifique que poétique et fantastique. Ainsi, le livre La Machine à explorer le temps d’Herbert George Wells est traduit et publié dans Le Mercure de France en 1898-1899. Voyage au pays de la quatrième dimension, nouvelle de science-fiction de Gaston de Pauwlowsky[53] parue en 1912 figure dans la bibliothèque de Marcel Duchamp[54] ; ce dernier tient un carnet de notes dans lequel il discute des hypothèses d’Henri Poincaré. En 1916, Matisse écrit à Derain à propos de Science et Hypothèse : « Avez-vous lu ce livre ? Il y a dedans certaines hypothèses d’une audace vertigineuse ». Gleizes et Metzinger dans Du Cubisme expliquent que le peintre cubiste se déplace autour de son sujet et réunit sur la toile ces différents points de vue pour parvenir à une image plus vraie. Ils affirment ainsi la possibilité pour l’artiste sensible de percevoir des dimensions spatiales supérieures. L’exposition suprématiste O.10 qui se tient à Saint-Pétersbourg en 1915 présente une toile qui s’intitule Mouvement de masses picturales dans la quatrième dimension et d’autres qui ont pour sous-titre Masses colorées dans la quatrième dimension ou encore Masses Colorées dans la deuxième dimension[55].
Étienne-Martin prend la juste mesure de ces réflexions. Il rencontre et travaille d’ailleurs avec Marcel Duchamp à plusieurs reprises. En outre, il porte un grand intérêt aux écrits de Guillaume Apollinaire[56] qui entretient des rapports étroits avec la nouvelle théorie de la physique[57]. Par ailleurs, il est possible que ses contacts répétés avec la communauté fondée par Gurdjieff aient pu l’amener à découvrir le concept de l’espace-temps. En effet, Piotr Ouspenski, proche de Gurdjiefff publie deux ouvrages sur la quatrième dimension : La quatrième dimension et Teritum Organum. Ils ont permis la diffusion de ces notions en Russie, notamment auprès des artistes constructivistes. Surtout, le sculpteur s’intéressait beaucoup aux écrits de Lovecraft, comme en témoigne la réalisation de l’Hommage à Lovecraft (1951-1954). Or, l’écrivain crée un univers fantastique où les lois physiques ne sont pas absolues : il existe d’autres dimensions régies par des lois différentes. Le lecteur doit se familiariser aux nouveaux angles et nouvelles formes des mondes à n-dimensions. Certains des textes d’Étienne-Martin, comme ceux où il retrace, en rêverie, la traversée dans la maison évoquent l’univers lovecraftien : perte de repères spatiaux, temporels, sensation d’inquiétante étrangeté. Surtout, à l’instar de son aîné, il en vient à imaginer la création d’univers parallèles régis par des normes d’espaces et de temps qui leur sont propres. Les personnages qui vivent dans ces mondes interagissent entre eux et conservent, tout au long de leur existence, des liens avec la maison qui leur a donné naissance : sa maison d’enfance.
Temps parallèles, temps cyclique
« Trois êtres qui sont simultanément nés dans ces trois lieux [de la maison] au même moment, de la même mère[58]»
Cette idée prend sa forme définitive à la fin des années 1960 avec la création des trois personnages -le voyageur, le visiteur ou l’aimé, et l’imaginaire ou l’ami – nés exactement, au même moment, de la même mère, dans trois espaces différents de la demeure. Étienne-Martin, qui incarne à lui seul ces trois êtres, peut donc, lui aussi, « grâce à la simultanéité du temps », entrer dans la bâtisse, par trois espaces différents, en même temps : « Le ciel me fit entrer par trois endroits simultanément dans cet univers[59]», « c’est par la simultanéité de ces trois ouvertures que seulement je vois le réel. Disons que l’une me donne une image, l’autre un volume, la troisième la couleur, que ce n’est que les trois réunis que naît le mouvement et la vie[60]». Bien entendu, ces trois ouvertures sont tout à fait «invisibles» à l’oeil nu puisqu’elles n’existent que dans un autre référentiel, « une réalité seconde[61]» pour reprendre ses propres termes : « Mon corps n’a pas la possibilité de franchir trois portes simultanément, mais mon esprit et mon cœur peuvent en moi les franchir avec autant de réalité que mon corps et c’est justement là le point essentiel de cette pérégrination « intérieure » » [62]». Il essaiera toutefois de les matérialiser dans la matière en sculptant trois ouvertures dans la Demeure 10 (1968) : la terrasse à laquelle on accède par un escalier creusé à l’intérieur de la sculpture, une entrée au centre des deux Nuits et une autre par les Couples.
Dans sa mythologie, Étienne-Martin a aussi la possibilité de suivre, à la fois par l’intermédiaire des trois personnages, différents itinéraires au sein de la bâtisse en même temps. Seul l’un de ses cheminements, est absolu. Les autres subissent des variations qui dépendent à la fois du contexte spatio-temporel et des interactions de chacun des trois êtres entre eux. C’est pourquoi le sculpteur considère que la « vraie trajectoire ne peut être vue que par la réalisation du tressage de ces trois itinéraires dans une réalité seconde[63]».
Afin de connaître le cheminement possible de chacun de ses itinéraires, il suffit de se reporter aux indications fournies par l’artiste qui a pris soin de numéroter chaque étape et de préciser toutes les alternatives qui s’offrent à lui. Dans certains de ses plans, il a également utilisé les codes couleurs de la maison natale pour représenter les différents itinéraires : le cheminement de l’aimé ou du visiteur est en vert ; celui de l’ami ou l’imaginaire est en bleu, tandis que celui du voyageur est en rouge.
Il arrive que les itinéraires se croisent, que les « personnages vivant comme séparés[64]» se rencontrent brièvement, provoquant « une déchirure du temps[65]». « C’est alors l’ouverture d’un nouvel espace et un nouveau temps. C’est seulement de ces temps et autres lieux qu’une œuvre se charge d’une possibilité de communication avec le monde[66]» précise Étienne-Martin.
L’éternel retour
Pour le sculpteur, le temps est donc tout à la fois présent perpétuel, espace, ouverture vers d’autres mondes et univers imaginaires, mais aussi cyclique, puisque tout n’est qu’éternel recommencement, y compris son existence : « L’histoire est un anneau de Moebius[67]. Le temps est [68] ». Ainsi, une fois qu’il a parcouru l’Abécédaire, il recommence indéfiniment un nouveau cycle au niveau de la terrasse de sa maison natale. Dans sa vie quotidienne, cette façon si particulière d’aborder le temps, se traduit par un besoin impérieux de revenir à ses écrits anciens, les relire, les annoter et les commenter :
« Samedi 17 sept 38 11h1/2 : Relu les quelques notes de Lyon, feuillets épars[69]»
« Nuit du 13 au 14 [entre l’année 1938 et 1942] : feuilleté, lu, et décrire quelques papiers idiots, quelques pages d’autrefois que je suis content d’avoir comme document, l’un de Valence [époque 1927-1929], l’autre de Lyon [1929-1933], cela fait le point. Ils sont justes, pourrais-je écrire maintenant aussi librement ma vie de Paris ? Je ne l’ai jamais fait encore, à essayer : cela sera plus triste, relire pour cela ces pages écrites [70] »
« Mardi 19 août 1952 : Relu des notes anciennes, ce qui me frappe c’est la faculté d’oubli que je possède et que possède tout homme[71]»
Durant les années 1930-1940, certains de ses agendas lui servent même plusieurs années de suite ; les récits s’ajoutent les uns à la suite des autres, par strates successives et forment des couches géologiques d’écrits et de temps. Aussi n’est-il pas rare de trouver dans un seul et même document, des informations relatives à une certaine année, par exemple 1930, puis des commentaires, rédigés quant à eux à la fin des années 1930, ou même postérieurement[72].
Dans son travail, cette conception du temps est surtout perceptible dans la manière qu’il a d’envisager ses manuscrits[73]. En effet, dans ces derniers, comme dans tous les ouvrages qu’il a publiés, le lecteur peut commencer sa lecture à la première ou à la dernière page, d’un côté ou de l’autre, choisissant ainsi librement son itinéraire : « J’ai adopté cette manière de reliure pour enlever cette idée de début et de fin et lui donner une idée de roue [74]». Selon lui, cette configuration correspond parfaitement à la structure d’un « livre idéal [75]» : « Le livre idéal serait une boule comme l’oignon, le baba, ou ces boules chinoises en ivoire qui tournent les unes dans les autres[76]».
Cette vision du temps, dans lequel la durée est figurée par l’image d’un cercle ou d’une spirale, s’oppose une nouvelle fois au temps linéaire. Le passé, le présent et le futur n’existent pas. Le temps humain est compris dans celui de la nature qui subit un perpétuel recommencement à travers le cycle des années, des saisons, des mois et des jours. L’univers, dans son éternité, subit lui aussi une création et une destruction qui se répètent indéfiniment avec sens. Étienne Tassin, professeur de philosophie à l’université Paris-VII Diderot commente :
« L’idée d’un éternel retour est contre-intuitive. Car nous expérimentons le temps comme quelque chose qui commence, qui passe – ou trop vite ou trop lentement –, mais qui jamais ne se « retourne ». Le temps est irréversible et son écoulement différencie les moments, les âges, les époques. Or, le thème de l’éternel retour oppose à la différenciation infinie la répétition infinie ; contre l’irréversibilité différentielle du temps subi, il convoque la réversibilité répétitive d’une identité affirmée[77]»
Ce concept est également discuté dans les écrits de nombreux philosophes occidentaux[78], depuis les pythagoriciens jusqu’à Nietzsche[79], en passant par Héraclite d’Éphèse, les stoïciens qui admettent la palingénésie universelle (naissance à nouveau) et l’apocatastase (restauration de l’ordre intérieur)[80], Platon selon lequel « le temps […] se meut dans un cercle [81]», Hegel[82] ou encore Kierkegaard … Si Étienne-Martin a lu un grand nombre de ces auteurs, notamment Nietzsche qu’il affectionnait tout particulièrement, sa pensée a aussi été nourrie par la philosophie indienne à laquelle il s’est intéressé dès les années 1930. Cette dernière est fortement marquée par « le mythe archaïque de la répétition éternelle [83]», appelé aussi « mythe du retour [84]» par Mircea Eliade, comme en témoigne les cycles sans fin des créations et destructions de l’univers qui caractérisent la cosmogonie hindoue et auxquels le groupe Témoignage dont Etienne-Martin faisait partie, fera souvent référence.
Sa perception générale du temps se rapproche également de celle de l’artiste Alberto Giacometti. En effet, depuis le début de sa carrière, le sculpteur suisse envisageait lui aussi le temps selon un principe de non-linéarité dans lequel le présent domine très largement. Pour Véronique Wiesinger, cela s’explique notamment par ses grandes « facultés mémorielles » : « Depuis son enfance, des visages, des paysages, des gestes, des voix qu’il avait connus à divers moments du passé pouvaient resurgir et exister simultanément autour de lui dans l’espace du présent, une expérience qui le « remplissait de ravissement »[85]». En décembre 1946, il publie, dans le journal Labyrinthe « Le rêve, le sphinx et la mort de T », texte accompagné de schémas complétant son point de vue. Dans cet article, il écrit notamment : « Soudainement, j’ai eu le sentiment que tous les événements existaient simultanément autour de moi. Le temps devenait horizontal et circulaire, était espace, en même temps j’essayai de le dessiner [86]». Désormais, le temps tel qu’il le ressent, s’incarne dans une structure bidimensionnelle qu’il peut parcourir comme il le souhaite. Comme chez Étienne-Martin, les notions de temps passé, présent et futur stricto-sensu sont abolies puisque ces derniers entretiennent des liens de dépendance et coexistent de façon visible.
Aussi pour Etienne-Martin, tout se conjugue au présent. En sculptant ses Demeures, en se remémorant ses souvenirs anciens, il cherche à ranimer, dans le temps présent, des événements passés et révolus qui participent de nouveau à l’instant. De même, l’Abécédaire tisse des liens entre des époques diverses qui sont décrites et analysées dans un temps présent et intégrées à une structure tridimensionnelle. De ce fait, intégrant trois dimensions d’espace et une dimension de temps, le système est en réalité une construction quadridimensionnelle. Cette conception d’un espace-temps fait écho aux théories scientifiques qui se diffusent dans toute l’avant-garde artistique du XXe siècle. Dans la mythologie d’Étienne-Martin, elle se double de voyages spatio-temporels au sein d’un espace courbe traversé par des déchirures de temps. À ces différentes temporalités s’ajoute encore autre une vision, inspirée quant à elle des philosophies indiennes et qui se caractérise par une conception cyclique de l’existence et du monde.
[1] Propos d’Étienne-Martin repris par Harald Szeemann, « Noces d’argent », Étienne-Martin, Paris, Chapelle St-Louis de la Salpêtrière, Centre national des arts plastiques, 1988, p. 2.
Abréviations utilisées dans le cadre de cet article :
MAMVP : Archives du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, fonds Étienne-Martin (mention suivie de la côte)
MTEM : Archives Étienne-Martin conservées chez Marie-Thérèse Étienne-Martin (mention précédée de la description)
MBAL : Archives du Musée des Beaux-arts de Lyon
[2] Ibid.
[3] Interview de Nadine Pouillon avec Étienne-Martin, pour l’exposition Les demeures, repris dans le dossier d’artiste Étienne-Martin, documentation MNAM/CCI.
[4] Alain Jouffroy, Michel Ragon, Étienne-Martin, « Étienne-Martin et le mythe des demeures », in : Journal Artcurial (Paris), n°13, mal 1979.
[5] Propos du sculpteur cités par Michel Ragon in : Étienne-Martin, Bruxelles, Editions de la Connaissance, 1970, p.20.
[6] Alain Jouffroy, Michel Ragon, Étienne-Martin, « Étienne-Martin et le mythe des demeures », in : Journal Artcurial (Paris), n°13, mal 1979.
[7] Interview de Germain Viatte avec Étienne-Martin, pour l’exposition Les Demeures, op.cit.
[8] Lettre d’Etienne-Martin à Marcel Michaud, 11 septembre 1941, fonds Michaud, MBAL.
[9] Propos de l’artiste repris par Luce Hoctin, « Étienne-Martin », in : L’œil, (Paris), n°108, décembre 1963, p. 40p.
[10] MAMVP/EM/MAN/NOT/LOR – notes sur les œuvres et la maison de Loriol
[11] MAMVP/EM/MAN/NOT/JIN – feuilles de journaux intimes
[12] Carnet jaune marque « Gibert » [1960-1965], archives MTEM.
[13] Propros d’Étienne-Martin cités par Dominique Le Buhan in : Les Demeures-Mémoires d’Étienne-Martin, Paris, Herscher, 1982, p. 42
[14]Ibid., p. 93.
[15] Voir Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1988 (1951), p.241-242.
[16] Saint-Augustin, La création du monde et le temps, Paris, Folio, 2006, p. 47.
[17] Ibid.
[18] Ibid., p. 45-47.
[19]La seule différence réside dans le fait qu’Étienne-Martin considère ce temps continu comme un présent perpétuel et qu’Henri Bergon pense que l’on peut concevoir le présent, mais non le percevoir. Par ailleurs, la durée de la conscience s’oppose au temps scientifique que le philosophe considère comme une abstraction car il ne mesure pas le flux continu qui s’écoule entre les bornes mesurées par la science (la distance que parcourt l’aiguille d’une horloge entre chaque seconde par exemple).
[20] Henri Bergson, Essais sur les données immédiates de la conscience, Paris, P.UF, 1988, p. 58.
[21] Henri Bergson, L’énergie spirituelle, Paris, Alcan, 1920 (1919), p. 5-6.
[22] « La préformation de l’avenir dans le présent se conçoit sans peine sous forme mathématique, grâce à une certaine conception de la durée qui est, sans qu’il y paraisse, assez familière au sens commun» (Henri Bergson, Essais sur les données immédiates de la conscience, op.cit, p. 108). Et p. 110 : « L’avenir n’existera alors dans le présent que sous forme d’idée, et le passage du présent à l’avenir prendra l’aspect d’un effort, qui n’aboutit pas toujours à la réalisation de l’idée conçue ».
[23] Henri Bergson, Essais sur les données immédiates de la conscience, op.cit., p. 110
[24] Ibid., p. 108.
[25] Interview de Germain Viatte avec Étienne-Martin, pour l’exposition Les Demeures (centre Georges Pompidou, Paris 18 avril – 11 juin 1984), op.cit.
[26] MAMVP/EM/MAN/CAR/CLJ - cahier librairie papeterie Joseph Gibert grand format (14 novembre 1959-14 juillet 1964)
[27] Dossier « La Demeure est une histoire d’amour », archives MTEM.
[28] Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Paris, Presses Universitaires de France, 1972, p.27.
[29] Carnet jaune marque « Gilbert », 1960-1965, archives MTEM.
[30] Interview de Germain Viatte avec Étienne-Martin, pour l’exposition Les demeures, op.cit
[31] Cahier « Travaux pratiques » [vers 1960], archives MTEM.
[32] Ibid.
[33] Carnet sans nom [juin 1977-août 1978], archives MTEM : « Le fait qu’elles n’aient pas de communication matérielle donnait à la pièce voisine une sorte de vertu de reflet ou de miroir et au mur de la séparation à la paroi qui les séparait sans en abolir la présence une réalité qui allait au-delà d’une simple muraille, c’était à la fois une muraille à la dimension d’un rempart ou alors une sorte de peau de tambour mais de toute façon un filtre pour le tangible quotidien car il fallait faire tout un détour par le haut ou par le bas pour arriver à la chambre correspondante à celle que l’on venait de quitter et de l’une à l’autre il y avait comme le passage d’un temps à un autre temps, un changement non seulement de lieu mais d’époque »
[34] Propos d’Étienne-Martin repris par Dominique Le Buhan, in : Les Demeures-Mémoires d’Étienne-Martin, op.cit., p. 34.
[35] Jean Pierre Rehm, Étienne-Martin, « Entretien », Étienne-Martin. Valence, Valence, musée de Valence, 1992, p. 28.
[36] Notes sur la maison de Loriol et les Demeures, archives MTEM.
[37] Voir Étienne-Martin, Abécédaire et autres lieux, Genève, Claude Givaudan, 1967 ; 1204 exemplaires numérotés. carton « mode d’emploi »
[38] Notes sur la maison de Loriol et les Demeures, archives MTEM.
[39] Entretien d’Irmeline Lebeer avec Étienne-Martin, « Le grand jeu d’Étienne-Martin », in : Chroniques de l’art vivant (Paris), n°48, avril 1974, p.7.
[40] Ibid.
[41] « Entretien de Jean-Marie Drot avec Étienne-Martin », in : « Voyages au pays des demeures d’Étienne-Martin », L’art et les hommes, 6 mai 1962
[42] Carnet jaune marque « Gibert » [1960-1965], archives MTEM.
[43] MAMVP/EM/MAN/NOT/LOR – notes sur les œuvres et la maison de Loriol
[44] Carnet rouge « Le Manteau » [1965], archives MTEM.
[45] Propos d’Étienne-Martin, cités par Luce Hoctin, « Étienne-Martin », in : L’œil, (Paris), n°108, décembre 1963, p. 42.
[46] Ibid.
[47] Cette conception ne contredit pas les théories d’Henri Bergson, comme le confirme Ilya Prigovine et Serge Pahaut, « Redécouvrir le temps », in : L’art et le temps, Regards sur la quatrième dimension, Paris, Albin Michel, 1985, p.23 : « il est important de noter que ce travail [d’Einstein] ne modifie en rien la notion de temps spatialisé critiqué par Bergson. Ce que ce travail renouvela, c’est la relation entre temps et espace ».
[48] «La suggestion de D’Alembert et de Lagrange au 18e siècle : le temps même peut se définir comme une quatrième dimension », et l’article « Dimensions » de l’Encyclopédie prête au temps le rôle d’une quatrième dimension» in : L’art et le temps, Regards sur la quatrième dimension, op.cit, p.196.
[49] Ibid.
[50] Dans l’Introduction de Science et l’hypothèse, Hervé Poincaré écrit p. 9-14: « Nous devons donc examiner avec soin le rôle de l’hypothèse (…) Quelle est la nature du raisonnement mathématique ? Est-il réellement déductif comme on le croit d’ordinaire ? (…) La méthode des sciences physiques repose sur l’induction qui nous fait attendre la répétition d’un phénomène quand se reproduisent les circonstances où il avait une première fois pris naissance. Si toutes ces circonstances pouvaient se reproduire à la fois, ce principe pourrait être appliqué sans crainte : mais cela n’arrivera jamais ; quelques-unes de ces circonstances feront toujours défaut. Sommes-nous absolument sûrs qu’elles sont sans importance ? », Rueil-Malmaison, Editions de la Bohême (Flammarion), 1992 (1902).
[51] Hermann Minkowski, « Raum and Zeit », 1908, traduction française « Espace et temps », Annales scientifiques de l’Ecole Normale Supérieure, 3e série, XXVI (1909), p. 499-517.
[52] La théorie de la relativité mise au point par Isaac Newton ne s’utilise que pour les petites vitesses et les champs gravitationnels faibles, tandis que celle d’Albert Einstein s’emploie pour la vitesse de la lumière.
[53] Le livre paraît en France en 1912 à Paris aux éditions Fasquelle. Auparavant, il paraissait en feuilleton dans la revue Coemedia (1912).
[54] Information de Jean-Paul Rinuy, « Pevsner et l’espace-temps dans la sculpture du XXe siècle », in : De la Sculpture au XXe, Grenoble, Presses Universitaires de France, 2001, p. 33.
[55] Voir Linda Dalrymple Henderson, « Théo Van Doesburg « La quatrième dimension » et la théorie de la relativité, durant les années 20 », in : L’art et le temps, Regards sur la Quatrième dimension, op.cit, p.197.
[56] En outre, Apollinaire est cité dans l’énoncé du Groupe Témoignage qui fut signé par l’artiste (brochure se trouvant dans les archives d’Étienne-Martin).
[57] Voir l’article de W.Bohn, « Apollinaire et la quatrième dimension », in : Que vlo-ve ?, 1995, n°19, p.68-76.
[58] MAMVP/EM/MAN/NOT/LOR – notes sur les œuvres et la maison de Loriol
[59] Registre « Les 3 Demeures, les greniers, itinéraires, voyage avec » [février 1964], archives MTEM.
[60] Registre « Fondements du ciel et de la terre et du ciel » [sans date], archives MTEM.
[61] Registre « Les 3 Demeures, les greniers, itinéraires, voyage avec » [février 1964], archives MTEM.
[62] Registre « Les chambres, axes verticaux (escalier sombre) » [novembre 1964], archives MTEM.
[63] Registre « Les 3 Demeures, les greniers, itinéraires, voyage avec » [février 1964], archives MTEM.
[64] Registre « Ma mère est naturellement le symbole de la grand-mère » [novembre 1963], archives MTEM.
[65] Ibid.
[66] Notes sur la maison de Loriol et les Demeures, archives MTEM.
[67] L’artiste utilisera souvent l’image de cet objet géométrique tridimensionnel pour qualifier sa perception du temps. Cette figure semble, de prime abord, posséder deux faces, alors qu’elle n’en a réalité qu’une seule. Si un promeneur la parcourt en suivant une trajectoire rectiligne, il finit par se trouver de l’autre côté du point de départ, ce qui lui donne l’illusion d’avoir changé de face sans qu’il s’en aperçoive. S’il poursuit son exploration dans la même direction, il finira automatiquement par revenir au point de départ.
[68] Propos d’Étienne-Martin repris par Warwara De la Vaissière ; ; « Étienne-Martin ou la demeure ouverte », in : Plaisir de France, (Paris), n°387, mars 1971, p. 10-17.
[69] Cahier « 1938-1942 », archives MTEM.
[70] Ibid.
[71] MAMVP/EM/MAN/AGE (extraits d’agendas).
[72] Ecrit du mardi 11 avril 1939 noté dans l’agenda de 1932 (archives MTEM).
[73] Notes sur la maison de Loriol et les Demeures, archives MTEM. « Le début de ce livre est partout et nulle part »
[74] MAMVP/EM/MAN/CAR/CLJ – cahier librairie papeterie Joseph Gibert grand format (14 novembre 1959-14 juillet 1964). Afin de faciliter la lecture, les biffures d’Étienne-Martin ont été supprimées. Le texte initial est celui-ci : « 10 janvier 61. Le livre idéal serait une boule comme l’oignon le baba ou ces boules chinoises en ivoires qui tournent les unes dans les autres. On pourrait encore concevoir les écrits images se déroulant en un rouleau refermé sur lui-même tel un anneau celui dit de Möbius, ce qui conférerait aux textes 7 ans, aux textes dans sa forme externe et l’image dans sa forme externe un sens plus simple. J’ai adopté cette manière [ ?] de reliure pour lui enlever cette idée de début et de fin et de lui donner une idée de roue. Quelque chose n’ayant plus ni queue ni tête ni norme. Le mouvement de création »
[75] MAMVP/EM/MAN/CAR/CLJ – cahier librairie papeterie Joseph Gibert grand format (14 novembre 1959-14 juillet 1964).
[76] Ibid.
[77] Etienne Tassin, « Le mythe de l’éternel retour », in : DTC, n°995, p. 14.
[78] Voir Ibid., p. 14-17
[79] Comme l’écrit Alessandra Sandrolini, « l’idée de l’éternel retour nietzschéen s’éloigne de la vision linéaire et progressive de l’histoire qui s’impose à partir du Nouveau-Testament, et se rapproche d’une vision circulaire du temps » (Alessandra Sandrolini, « Homo novus », in : Traces du sacré, cat. exp. Paris, Musée national d’art moderne centre Georges Pompidou ; 7 mai – 11 août 2008, Paris, Musée national d’art moderne, 2008, p. 164).
[80] Marc-Aurèle rapporte dans ses Pensées (121-180) : « toutes les choses sont éternellement semblables et recommençantes », propos de Marc-Aurèle repris dans La philosophie comme débat entre les textes, Paris, Magnard, 1985, p. 148.
[81] Cf. Platon, La Timée [trad : Victor Cousin], en ligne, Librairie Gwalarn, 2013, disponible à l’adresse : https://www.gwalarn.com/livre/5723035-timee-platon-culture-commune ; juillet 2016)
[82] Mircea Eliade écrit d’ailleurs dans Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1987 : « Hegel affirmait que dans la Nature les choses se répètent à l’infini et qu »il n’y a rien de nouveau sous le soleil »».
[83] Etienne Tassin, op.cit., p. 14.
[84] Mircea Eliade, Images et symboles, Paris, Gallimard, 1980 (1952), p. 94.
[85] Véronique Wiesinger, « L’atelier comme terrain infini d’aventure », in : cat.exp L’atelier d’Alberto Giacometti, Collection de la fondation Alberto et Annette Giacometti (centre Georges Pompidou, 2008, 17 octobre 2007-11 février 2008), Paris, 2008, p. 30
[86] Alberto Giacometti, « Le Rêve, le sphinx et la mort de T », in : Labyrinthe, n°22-23, p. 12-13 décembre 1946, repris dans Albert Giacometti, Ecrits, op.cit., p. 27-35.