La mise en scène de la vie quotidienne : perspectives new-yorkaises 1959-1978

Pauline Chevalier

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Résumé :
En 1967, Michaël Fried analyse l’art minimal, qu’il désigne sous les termes d’ « art littéraliste » en décrivant sa dimension théâtrale : « L’adhésion du courant littéraliste à l’objectité n’est en fait qu’un plaidoyer en faveur d’un nouveau genre de théâtre et le théâtre est aujourd’hui la négation de l’art. La sensibilité littéraliste est théâtrale, tout d’abord parce qu’elle s’attache aux circonstances réelles de la rencontre entre l’Œuvre littéraliste et le spectateur. […] l’art littéraliste s’éprouve comme un objet placé dans une situation qui, par définition presque, inclut le spectateur. »
L’art minimal, qui se développe alors depuis déjà quelques années, possède cette singularité qui amènera Fried à dire, en réaction à des propos de Tony Smith : « plus grande est l’efficacité du cadre – son efficacité théâtrale – plus les œuvres elles-mêmes deviennent superflues. » Le cadre de l’Œuvre, sa « situation » prend alors une importance considérable alors même que se sont épanouies, dès 1959, des formes artistiques à la marge des arts plastiques et du théâtre, tels que les premiers happenings d’Allan Kaprow. Le concept de « situation », et le terme même, sont abondamment utilisés à l’époque afin de caractériser une des mutations majeures de l’art du début des années 1960. L’épanouissement des happenings, et du minimalisme, a en effet fait la part belle au spectateur tout en refusant la notion même de spectacle. L’enjeu est de reconsidérer à la fois l’espace et la temporalité de l’Œuvre afin de faire coïncider la sphère de l’objet, du geste, de l’Œuvre, et celle du visiteur.
L’usage abondant du concept de « situation » n’est pas propre au champ esthétique puisque les sciences sociales témoignent d’un intérêt similaire pour le terme. Les écrits d’Erving Goffman vont ainsi venir croiser des préoccupations existantes chez de nombreux artistes. Il ne s’agit pas d’observer ici uniquement une influence directe des théories du sociologue américain, mais plutôt d’interroger les correspondances entre le développement de cette « microsociologie » interactionniste à la fin des années 1950 aux Etats-Unis et le rayonnement d’un art américain pétri de références théâtrales, mettant au cœur de son propos situations et interactions du quotidien à divers degrés d’abstraction.

Mots clés : Erving Goffman, Judson Dance Theater, Grand Union, Yvonne Rainer, David Gordon, Vito Acconci, interactionnisme, performance, art minimal, théâtre, danse postmoderne

Présentation de l’auteur :
Pauline Chevalier est maître de conférences en esthétique et histoire des arts à l’université de Franche- Comté. Ses recherches portent sur la scène artistique américaine des années 1960 et 1970, et notamment sur les espaces alternatifs new-yorkais (Une histoire des espaces alternatifs à New York, 1969- 1990, Presses du Réel, à paraître, 2014). Elle poursuit actuellement des travaux sur les croisements entre danse et arts plastiques dans l’art américain contemporain, et sur les interférences entre pratiques artistiques et expériences sociales dans le New York du XXe siècle.

Contact :

pauline.chevalier [at] univ-fcomte.fr
chevalier.pauline [at] gmail.com